15) Le jeu de l’oie
Ci-dessus : jeu de l’oie contemporain, crée par Annick de GIRY en 1994 pour la caisse nationale des monuments historiques et des sites (France), le graphisme est de Doïna CALMUSCK, et l’éditeur est HERON, maîtres Cartiers.
Description du jeu
Le jeu de l’oie comprend un plateau ou une tablette de jeu
avec 63 cases disposées en spirale, des pions et deux dés. Le but du jeu est
d'arriver le premier à la case centrale, celle autour de laquelle s’enroule
toute la spirale des autres cases... Le nombre idéal de joueurs se situe entre
2 et 5. Chaque joueur choisit un pion (souvent représenté par une petite oie
personnalisée par un détail ou une couleur) et, à tour de rôle, lance deux dés,
puis avance d’autant de cases qu’il a marqué de points. Si un joueur est
rejoint par un autre sur sa case, il retourne à la case que ce dernier vient de
quitter. Le départ se fait à l'entrée de la spirale, à l’extérieur donc
(contrairement au jeu de l’oie de l’Egypte antique où l’on partait du centre
vers la périphérie). L’arrivée se fait à la case au centre du jeu : le premier
joueur qui atteint la case 63, sans la dépasser (sinon il recule d’autant de
points qu’il lui reste à faire) a gagné la partie.
Le parcours comporte
quatorze cases ornées d'une oie. Elles permettent de redoubler les points des
dés. À ces cases bénéfiques, qui accélèrent la course, s'opposent des
cases-pièges qui pénalisent le joueur. Ces dernières sont traditionnellement
les cases 6 (pont), 19 (auberge), 31 (puits), 42 (labyrinthe), 52 (prison) et
58 (mort). Ainsi la case 19 oblige à passer son tour, les cases 31 et 52 fixent
le pion qui ne peut la quitter tant qu'un autre n'a pas pris sa place, la case
42 renvoie à la case 37, la case 58 fait revenir à la case départ. Quand deux
joueurs se retrouvent sur la même case, l'occupant initial doit aller occuper
la case laissée libre par l'arrivant. Pour gagner, il faut arriver exactement
sur la case 63. Si le nombre excède la distance à parcourir, le joueur doit
rétrograder.
Origine du jeu
Le jeu de l’oie prit véritablement son essor dans nos
régions qu’à partir du 16e siècle, mais son origine, à tort attribuée aux
Troyens, provient en fait de l’Egypte antique. Il s’agit du jeu du serpent, encore appelé 'jeu du Mehen', qui
avait pour rôle d’avaler le soleil mort. Pour gagner, le joueur devait
parcourir toutes les cloisons du serpent enroulé sur lui-même, à partir de la
tête du serpent qui 'l’avalait' au centre, jusqu’au bec de l’oie le plus à
l’extérieur de la spirale. Ainsi le joueur connaissait la réapparition, la «
sortie solaire ». Il ressortait des ténèbres sous forme de l’oison solaire
(tête et bec de l’oie). Dans nos régions, les jeux étaient généralement
illustrés par thème ou ne comportaient que des chiffres et des oies.
Sur le plan symbolique, l'oie est l’animal qui annonce le
danger (oies du Capitole à Rome). En général on voit dans le jeu une métaphore
de la vie, de la connaissance, et un parcours initiatique.
Mais les symboles du jeu sont parfois lus autrement accentués selon l’époque et le lieu où le jeu est pratiqué : en France, le mot « oie » est rapproché des mots « oreille » et « entendre ». Le jeu de l’oie n’est-il pas un moyen de mieux « écouter » le monde ? Son tracé en forme de spirale rappelle le labyrinthe de l’existence terrestre. Oie, pont, puits, labyrinthe et mort sont autant de figures symboliques fortes du parcours.
Mais les symboles du jeu sont parfois lus autrement accentués selon l’époque et le lieu où le jeu est pratiqué : en France, le mot « oie » est rapproché des mots « oreille » et « entendre ». Le jeu de l’oie n’est-il pas un moyen de mieux « écouter » le monde ? Son tracé en forme de spirale rappelle le labyrinthe de l’existence terrestre. Oie, pont, puits, labyrinthe et mort sont autant de figures symboliques fortes du parcours.
Jeu de l’oie ancien, éditeur JFL Paris
Le jeu de l'oie de l'Egypte antique.
Le jeu de l'oie de l'Egypte antique se joue à partir du centre vers la périphérie, mais ici on est censé être en ENVERS, lieu pas du tout péjoratif en Egypte, où le soleil passe pendant qu'en ENDROIT il fait sombre…
Quelques réflexions amenées par le jeu de l’oie de l'Egypte
antique :
1° A remarquer qu'ici on se déploie, comme Icare qui après
avoir pris une grande bouffée d'air (poumons déployés), déplie ses ailes pour
s'envoler…
2° A remarquer aussi que pour tout Éveillé l'envers peut se
révéler être l'endroit et vice-versa.
Alice au Pays des Merveilles
Ci-dessus, illustration d’Arthur Rackham pour Alice au Pays des Merveilles.
Dans « Alice au
Pays des Merveilles » de Lewis Carroll, Alice fait le double parcours du
labyrinthe: par son premier parcours elle arrive au centre de la terre d'abord
par une voie horizontale (début du parcours du terrier) et ensuite par une voie
verticale mais sans vraiment tomber puisqu'elle a le temps, dans sa 'chute', de
prendre un pot de confiture sur une étagère et de le reposer dans un placard
plus bas. Ensuite elle arrive dans un lieu où toutes les règles sont
bouleversées, or elle aspirait à ce lieu avant d'y être: "Comme ce serait
drôle de ressortir chez ces gens qui marchent la tête en bas! Les Antipattes,
je crois…" Avant d'arriver à ce lieu, elle doit encore faire une partie
horizontale du terrier, et pour passer dans le lieu elle est obligée de subir
ses premières métamorphoses.
Une des métamorphoses d'Alice.
Comme l'envers égyptien, le lieu où elle arrive est celui où
elle peut enfin vraiment se déployer (avec parfois les maladresses de
l'apprentie) et le lieu de toutes les transformations. Elle fait le deuxième
parcours, celui de retour, en Envers. En Envers il n'y a plus les 'murs' de la
sombre paroi du terrier, mais les obstacles prennent une autre forme et le
monde où elle est entraînée ne lui laisse pas toujours vraiment le choix de la
voie à suivre. Toutefois elle parvient au terme de son parcours de manière
particulièrement dionysiaque et jubilatoire, et elle en ressort grandie, c'est
le moins qu'on puisse en dire…
La deuxième fois qu’Alice va entrer en Envers, elle fait l'économie du terrier: elle a dépassé le stade de l'apprentissage premier et peut passer directement à travers un miroir. Mais elle entrera aussi dans un monde où la trame est plus complexe: du monde du jeu de dames et de cartes, elle va entrer dans celui des échecs, la porte vers la sagesse et le monde des adultes. Ce monde-là est celui où l'on doit devenir Maître, c'est à dire son propre juge et maître. Maât, la Justesse en Egypte antique, lui devient alors familière.
La deuxième fois qu’Alice va entrer en Envers, elle fait l'économie du terrier: elle a dépassé le stade de l'apprentissage premier et peut passer directement à travers un miroir. Mais elle entrera aussi dans un monde où la trame est plus complexe: du monde du jeu de dames et de cartes, elle va entrer dans celui des échecs, la porte vers la sagesse et le monde des adultes. Ce monde-là est celui où l'on doit devenir Maître, c'est à dire son propre juge et maître. Maât, la Justesse en Egypte antique, lui devient alors familière.
A l'image du parcours que fait Alice, le jeu de l'oie est
parsemé d'embûches où l'on peut se perdre ou répéter les mêmes expériences
jusqu'à la compréhension de celles-ci. La délivrance est au bout du chemin.
Du jeu de l'oie au jeu d'échecs
Une hypothèse audacieuse est de considérer qu'en arrivant au
Château de l'Oie, en ayant ainsi réussi les épreuves du jeu de l’oie, un joueur
peut accéder au jeu de la connaissance et de la souveraineté de soi, soit le
jeu d'échecs. Celui-ci remplace la spirale de 63 cases par le damier carré de
64 cases. Tandis qu'au jeu de l'oie, le joueur se confie à la bienveillance du
hasard, symbolisé par le jet de dés, aux échecs il décide lui-même du mouvement
de ses pions selon son intelligence et sa capacité à anticiper le futur. Il
passe ainsi d'un degré de sa conscience d'être à un autre .
Communications transversales
Comme dans le jeu anglais similaire « snakes and ladders »
il y a des communications transversales au parcours linéaire de la spirale.
Mais dans le jeu de l’oie, le joueur n’est manifestement pas prêt à les prendre
car à chaque fois qu’il le fait cela le retarde dans son avancée réelle.
Il ne faut pourtant pas croire que cela soit inutile car
c’est en se trompant que l’on apprend. Ainsi le pont est une arche reliant deux
rives inatteignables sinon. L’auberge est un lien entre la rive de hier et de
demain réalisé dans un lieu étranger où l’on est un voyageur de passage. Le
puits est un passage entre la surface de la terre et le monde souterrain qui
abrite les énergies mystérieuses de l’eau, mais a cela de similaire avec
l’auberge où l’on dort qu’il est aussi accès aux mondes inconnus et inconscients
que nous ne pouvons atteindre dans notre vie éveillée, il est encore accès à
l’eau pure qui apaise notre soif, nous purifie et nous ressource. Le labyrinthe est questionnement ontologique
entre choix (voies multiples) ou
détermination (voie simple, je développerai plus tard). La prison est le lieu
par excellence où le corps est bloqué et où l’esprit doit s’échapper pour faire
survivre le premier (voir témoignages des rescapés des horribles camps nazis ou
des goulags soviétiques). Ici il est clair que la prison peut aussi signifier
les limitations, les croyances, les interdits que l’on se donne à soi-même nous
empêchant de nous épanouir totalement. Enfin la mort est le passage par
excellence qui permet la résurrection, en n’oubliant pas qu’on est dans le
symbole : toute notre vie est remplie de « petites morts », mort d’une relation basée sur de mauvaises
bases, mort d’un projet avorté. Mais la mort peut aussi être retournement
complet, renversement total des valeurs que l’on croyait acquises, ceci à cause
d’un événement extérieur grave. Ne nous
y trompons pas, c’est aussi symbole de passage brutal et désagréable comme la
carte du pendu dans le tarot ou la naissance de l’enfant tenu par les pieds la
tête à l’envers. Notons enfin que plus le joueur s’approche du but, plus les
embûches se présentent à intervalles rapprochées.
Jeux géants de dames et d’échecs à Bélézy, photo © Eric
Itschert
L’oie sauvage était considérée dans les contes anciens comme une intermédiaire de l’autre monde. Sa migration était considérée comme le passage de l’âme d’un lieu à un autre, comme image de l’âme libérée volant vers son destin solaire. La migration des oies était donc vue comme migration des âmes, dans ce monde ci ou dans d'autres mondes. (Bizarrement, l’oie domestique avait moins bonne réputation puisque son caquetage évoquait les commérages du village). En ce qui concerne l'association âme-oiseau dans mes tableaux, j'en parlerai plus tard.
L'ouverture de la noix
Toujours dans l'idée d'un parcours endroit-envers du labyrinthe: le trajet de la périphérie au centre est comme l'ouverture d'une noix que l'on n'aurait jamais goûté de sa vie. On fend l'extérieur pour entrer au centre. La coquille, brune, dure, semblait rébarbative et donc le fruit peu intéressant. La peau du fruit est amère.
Pourtant on l'enlève et on mord dans le fruit. Alors d'anciennes certitudes tombent, on a des frissons de plaisir tellement le fruit est délicieux. On goûte la forêt, on EST dans la forêt. Le miroir a été traversé et on est arrivé en envers. Et là, on parcourt tout le chemin dans l'autre sens, on quitte la religion-relier du fil d'Ariane, et on entre dans la religion-relire, avec une réévaluation de toutes ses certitudes pour, qui sait, enfin oser 'se perdre', enfin se délivrer de ses barrières et de ses peurs.
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