152) Zwin N2, peinture à l’huile

Archives, 14/11/2011. Complété le 25/07/2023.


« Zwin N2 », peinture à l’huile sur toile de lin, 80cm x 100cm.
 © Eric Itschert.



« Eric Itschert (…) peint la beauté au moment où celle-ci semble s’être immobilisée un instant… » 

Roger Nupie 


Composition


Trois personnages à la mer. Un voilier aux voiles rouges au loin, une balle jaune sur la ligne  horizontale séparant le tableau en deux. Au-dessus de la ligne, un garçon sort de la mer. Son propre corps le trouble, il est en phase narcissique. Posés en-dessous de la ligne, une fille et un garçon. Le garçon est allongé sur le sable, la fille est assise. Les deux garçons s’intègrent normalement dans le paysage, mais pas la fille. Je la voulais hiératique, comme une énigme placée dans le tableau. L’horizon est placé au milieu de son corps, et pas au-dessus du corps comme pour les deux autres personnages s’intégrant au paysage. Ce sont des subtilités juste assez visibles pour déstabiliser le spectateur et le faire passer de l’autre côté du miroir. 

Carnets, extrait 



« Souvent j’aurais aimé arrêter le cours du temps pendant un instant, comme on arrête la balle sur son envol en plein midi, juste pour prolonger un petit peu un moment d’intense bonheur. Mais après les interminables jeux avec le vent dans les voiles, les baignades nu dans la mer une fois le dériveur ramené sur la plage, les luttes ébouriffantes et les conversations sur le sable chaud, immanquablement la course du soleil déclinant venait nous rappeler le temps qui fuyait. L’éternité se brisait dans le feu du soleil couchant. Et une fois le soleil disparu, on s’offrait l’illusion d’être cet albatros volant très haut. On était lui surfant sur les courants montants d’air chaud. Lui avait la chance d’être encore dans le soleil, une fraction de temps de plus que nous. Le froid venant de la mer nous rappelait à l’ordre, c’était un froid sournois venant par en-dessous, il fallait remettre ses vêtements et quitter la plage. Notre bel été était grignoté d’un jour de plus… » 
(Carnets II, Eric Itschert) 

" La vie est faite de moments heureux qui ne reviennent plus... Mais peut-être reviendront-ils sous une autre forme ? "


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« Zwin N2 », peinture à l’huile sur toile de lin, 80cm x 100cm, détail,
© Eric Itschert.



Dialogue au sujet du tableau… 



Ce tableau a fortement impressionné certains visiteurs. J’en ai gardé un dialogue. 

C’est Thaddée qui commence la conversation, et moi qui répond : 


« - Ô temps suspends ton vol... et le ballon se figea entre terre et ciel comme dans un tableau surréaliste. C'est extraordinaire. Ce ballon suspendu capte toute l'attention. Il ne nous détourne et ne nous distrait pas pour autant des trois personnages, dont deux sont vraiment très beaux. Le troisième est loin mais on voit son reflet dans l'eau. Ce qu'on ne sait pas, c'est si ce ballon s'apprête à toucher terre ou, au contraire, rebondit. Cette sensation de temps arrêté est stupéfiante, impressionnante même. Pourquoi ce tableau s'appelle "Zwin N2" ? 


- La scène du tableau pourrait se dérouler un peu partout à la mer du Nord, c’est celle que je connais le mieux. Pourtant j'indique le lieu exact, la plage de la réserve naturelle du Zwin, située sur la côte belge à la frontière avec les Pays-Bas. De là vient le titre du tableau, Zwin. J'y ai passé des heures inoubliables à faire de la voile et à nager nu

A une époque c'était probablement l'unique endroit en Belgique où on pouvait nager entièrement nu le soir sans être dérangé ni déranger les autres. Le deuxième texte que j'y ai rajouté est une fiction extraite d'une série de nouvelles. Elle n'a à l'origine rien avoir avec le tableau, et pourtant ce qui m'a frappé c'est que histoire et tableau me ramenaient tous deux à ces jours heureux vécus dans le Zwin. 


- Je m'arrête de nouveau devant ce tableau étrange et saisissant. "Cette balle au bond", c'est quelque chose qui me trouble infiniment. Parce qu'il y a une sorte d'immobilité dans le tableau, comme une "finitude", une perfection... et cette balle est interrompue dans un mouvement. Du coup je vois tous les possibles : elle va rouler contre le flanc du garçon blond. Ou plutôt passer entre les deux personnages. Elle me semble venir de gauche pour aller vers la droite. Mais tout est possible n'est-ce pas? C'est vraiment une peinture captivante. On assiste à l'intrusion d'un élément fantastique, le temps suspendu, dans un décor où tout n'est que quiétude et beauté. Tes bleus sont magnifiques. 

As-tu peint d'autres tableaux représentant un mouvement interrompu de façon aussi flagrante ? 


- Tu me pose une véritable énigme à laquelle il m’est très difficile de répondre. J'aime ta question, car elle touche la raison d’être de tout tableau figuratif ! 

Car selon la sensibilité de chacun, il y aura d'autres de mes œuvres qui représentent un mouvement interrompu de manière aussi flagrante, ou pas. Ce que j'aime dans ce tableau-ci c'est qu'il nous provoque en raison de cet élément à première vue incongru, une balle jaune "immobilisée" dans l'air, on dirait qu'elle flotte. 

Mais ce tableau-ci nous parle de tous les tableaux, de toutes les photos: dans tous les cas les mouvements sont interrompus, on ne peut malheureusement pas savoir ce qui se passait juste avant ni ce qui se passera juste après la scène! Même les nuages et les feuilles des arbres sont censés bouger dans un paysage. Un autre exemple: Alexandra qui nage sous l'eau. Son mouvement est immobilisé, mais notre imaginaire la fait continuer à nager sous l'eau... Donc cela nous paraît normal, mais pas cette simple balle dans l'air! 

On peut compliquer les choses: on peut suggérer le mouvement, mais cela reste une illusion de mouvement. Dans la boîte à bijoux il y a la cascade sur la face avant de la boîte où l'accent est mis sur le mouvement: on perçoit d'abord les rubans d'eau, comparables à ce qu'on peut obtenir en photographiant une cascade avec un long temps de pose. Mais sur la face latérale droite de la boîte j'ai voulu à nouveau suggérer l'immobilité totale d'un phénomène: le ruban d'eau se termine en gouttes et ces dernières sont agrandies. Elles sont comme un instant en suspension dans l'air avant de disparaître, évaporées. D'ailleurs sont-ce vraiment des gouttes d'eau? 

Oui, ta question amène toute une réflexion sur ce qui est l'essence même des tableaux figuratifs, et leur magie qui nous conduit dans cette sorte d'éternité entre le lion d'hier et celui de demain… 


- L'énigme pour moi c'est ton tableau même ! Ta réponse est détaillée, pourtant j'en reviens toujours à la même interrogation : un nuage, un bateau, même quelqu'un qu'on représenterait en train de courir, les pieds décollés du sol, seraient toujours moins "frappants" que cette balle au bond parce qu'on a l'habitude de voir toutes sortes de mouvements interrompus en peinture comme en photo. 

La peinture et la photo figent nécessairement le mouvement. Mais toi tu l'as figé très audacieusement, en représentant cette balle non pas en train de rouler sur le sol, mais volant à travers les airs ! Et c'est cette audace qui donne à l'ensemble son caractère surréaliste. Sauf si l'on considère qu'elle a été poussée du pied par le personnage dans l'eau, à l'arrière-plan. Dans ce cas il n'y a plus intrusion d'un lancer de balle par quelqu'un hors du champ visuel. Tout se passerait entre les trois personnages. Et l’on peut imaginer que la balle passant près d'eux va attirer leur attention. Mais il se peut aussi qu’il y ait un personnage hors-champ, comme dans ton tableau ‘Swimming Pool N6’. Toute une histoire ce tableau ! 

Excuse mes élucubrations. Je crois n'avoir jamais regardé aussi attentivement un tableau de ma vie ! » 

Jay reprend : 

« - Le garçon dégage une incroyable sensualité, on devine presque la caresse du soleil et la chaleur du sable sur sa peau. C'est beau ! »

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