22) Étymologies grecques du mot labyrinthe

A) Étymologies grecques du mot labyrinthe: celle que j'ai retenue.


labyrinthes


Dans le cas de l'étymologie grecque du mot labyrinthe, je suis la thèse de Paul de Saint-Hilaire, qui erre bien souvent au gré de sa fantaisie, mais qui a aussi parfois des intuitions de génie.


LABRUS: des historiens et des ésotéristes (dont même Guénon) voulurent absolument voir dans le mot LABRUS (la hache) l’origine du mot


Or cela est impossible, car le mot ‘labrus’ est latin et bien postérieur à la formation du mot ‘laburinthos’ en grec. Selon d’autres, il existe un mot grec ‘labrys’ qui signifierait ‘double hache’, et en effet la double hache est un symbole constamment représenté dans la civilisation minoenne, jusque sur les fresques et les poteries. Toutefois, vouloir arrêter l’étymologie du mot labyrinthe là est dommage. C’est se priver d’un jeu de mots et de bien des subtilités qui nous permettraient de mieux comprendre la symbolique du labyrinthe. Car pour les anciens, la complexité du labyrinthe était liée à celle du nœud, à ce qui lie à la vie et chez les Égyptiens au nom.

Ici, je me trouve obligé d'interrompre le fil de mon propos : pour lire l’étymologie de ce mot il faut un instant se placer dans la peau d’un scribe égyptien de l’antiquité. Lisez la notion de ‘Neter’ (classé dans le libellé "dieux"). Vous y trouverez quelques notions de base sur les divinités égyptiennes. Pourquoi soudain des dieux égyptiens dans une étymologie grecque d'un mot? Parce-que certaines notions autour de la symbolique du labyrinthe ont été héritées des Égyptiens.


Sceau crétois


Pour moi, le mot 'LABURINTHOS' n'a absolument rien à voir non plus avec une hache, ni de près, ni de loin. Si on accepte que les Grecs aient beaucoup appris chez les Égyptiens, on pourra développer autrement l’étymologie du mot labyrinthe. J'insiste, les Égyptiens sont non seulement les inventeurs du labyrinthe - et non les Crétois -, mais ils ont aussi transmis aux Grecs des notions autour de la symbolique du labyrinthe.

Le mot 'LABURINTHOS' a en effet deux sens en grec ancien: celui égal au notre de labyrinthe, et celui de nasse de pêcheur. Mais la racine est manifestement commune aux deux sens! Il s'agit du radical LAB signifiant 'prendre' et du mot URRIS signifiant 'panier d'osier'. Le suffixe IND ou INTH caractérise tous les jeux d'enfants en grec ancien. Le sens-racine d'origine du mot 'LABURINTHOS' signifiait donc le jeu du poisson pris dans la nasse.

Or le filet de pêcheur, fait de nœuds, est une piste de plus sur le lien labyrinthe-nœuds. Ce lien est rappelé dans l’histoire de Dédale et de la fourmi (nœud à sa patte) que je vous ai raconté dans un chapitre sur la spirale, 18), Dédale, le fil et le nautile. 




Ce lien entre le fil d’Ariane (emmêlé ou démêlé, avec comme nœud au minimum celui de départ permettant de fixer le fil à l’entrée du labyrinthe) et le labyrinthe est essentiel si on ne veut pas « subir » le labyrinthe. Ce lien peut être le mythe lui-même, ou les hiéroglyphes qui servent à comprendre la vie ou encore une série de tableaux.


Cnossos, Crète, monnaie,vers 500-431 av. J.C.
Le Minotaure et le labyrinthe, ce dernier pouvant être imaginé comme une nasse de pêcheur.


B) Le parcours du vivant.


Or le labyrinthe symbolisait aussi en Egypte le parcours du vivant, qui une fois arrivé au passage de la mort, devait récupérer 'ses deux âmes hier et demain' signifiées par des poissons.


Ci-dessous : peinture d’une tombe égyptienne dans la Vallée des Rois : 'les deux âmes hier et demain' et le défunt harponnant les deux poissons,



Au passage, je voudrais aussi souligner ici la condescendance souriante avec laquelle trop de contemporains expliquent les scènes d'agriculture, de pèche et de chasse dans les tombeaux égyptiens y compris jusque dans les musées: les défunts, gentils naïfs, pouvaient ainsi continuer à vivre ces scènes dans l'au-delà. Or, pour l'Égyptien, tout était hiéroglyphe, donc tout était sacré et symbole.

Pour résumer, le vivant (dont l'âme est 'poisson') parcourt donc le labyrinthe de sa vie terrestre et il est, quoi qu'il fasse, programmé pour la mort. Ce mouvement dans le labyrinthe s'apparente à la danse du poisson emprisonné dans la nasse et promis à une mort proche.


Ci-dessus : représentation provenant d’Athènes.


Sur une représentation de dieux égyptiens tirant une nasse de pêcheur remplie de poissons est symbolisé en tout petit au sommet 'l'héritier des jours', l'âme après sa transformation par le passage à travers le labyrinthe de la vie. Cette âme est représentée sous la forme d'un héron cendré, signifiant pour eux le phénix. L'âme s'incarne sur terre sous forme d'une cigogne (chez nous en Europe elles apportent les bébés…) puis se transformera après la mort en phénix.


filet, labyrinthe
filet-labyrinthe


Sur une autre représentation (dessin ci-dessus) on peut voir le filet-labyrinthe de la vie tendu entre deux supports. Les supports sont des hiéroglyphes. Or 'hiéroglyphe' s'écrit en égyptien 'mdw ntr', 'bâton de dieu', bâton sur lequel nous appuyer dans la marche de la compréhension du sens de la vie, de nous-mêmes et des autres. La trame du filet désigne encore sur ce dessin la structure liant les hiéroglyphes démêlée par les supports: le pieu-bâton rend le filet compréhensible. L’étude est donc un devoir afin de nous y retrouver dans le labyrinthe-filet de la vie, et de comprendre son sens. Ce qui me frappe dans les sculptures de Shiva Natarâja (l’une des principales divinités hindoues), c’est que la plus grande erreur que puisse commettre l’homme est de rester dans l’ignorance. Le fil d’Ariane, je ne puis donc assez insister, est essentiel.


Un égyptologue aura de suite remarqué qu'en fait ce dessin de filet tendu constitue en lui-même un hiéroglyphe: on prend le mot 'hiéroglyphe' en hiéroglyphe, on précise le ntr en spécifiant qu'il s'agit de hr et on intercale entre les deux lettres hr et mdw un filet. L'art de commenter un texte par permutation est, lui aussi, né il y a bien longtemps…


Les hiéroglyphes rendent donc la vie compréhensible dans ce qu'elle a de plus sacré, et ils nous permettront si on les médite bien de pouvoir un jour sortir à la lumière du jour, et de voir la Lumière en face tel Horus le faucon.


C) De la cigogne au héron cendré



cigogne


Ci-haut: l'âme s'incarne sur terre sous forme d'une cigogne. L'âme après sa transformation par le passage à travers le labyrinthe de la vie devient 'l'héritier des jours'. Cette âme est alors représentée sous la forme d'un héron cendré, signifiant pour l’Égyptien le phénix...




héron cendré

Ci-haut et ci-bas: représentation égyptienne du 'benou', le phénix, sous la forme du héron cendré.

phénix, héron cendré, benou


D) Un extrait du Roman de la Rose


Je voudrais, pour terminer cette proposition d’étymologie grecque du mot labyrinthe, vous proposer un extrait du « Roman de la Rose » de Guillaume de Saint-Amour :

« C’est le poisson qui passe
Par la gorge de la nasse
Et quand il veut retourner,
Doit y demeurer malgré lui
A jamais emprisonné
Car tout retour est impossible.
Les autres qui dehors sont restés
Quand ils le voient accourent
Et pensent que ses ébats
Sont plaisir et grande joie,
Quand le voient là tournoyer
Et paraissant danser…
…mais là, il faut vivre hélas !
Tant que la Mort vous en délivre… »


Si vous voulez en savoir plus sur la symbolique en Egypte, je vous recommande chaleureusement le livre « Amours et fureurs de La Lointaine», écrit par Christiane Desroches-Noblecourt, publié aux éditions Stock/Pernoud. Vous y verrez certaines illustrations qui renforceront ma thèse…







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