294) Art et légendes urbaines

"Oiseaux", aquarelle sur papier, projet pour un panneau laqué,
© Eric Itschert

Cette note est la suite de la note précédente. En tête de cet article: "Oiseaux", projet à l'aquarelle.

Rappel: cette œuvre est comme la précédente entièrement recréée à partir d'un papier marbré, mais sur un support indépendant de la source d’inspiration. Je lis et recrée des formes à partir du papier marbré que j’ai d’abord fabriqué moi-même. L’étude est ensuite agrandie et réalisée à l’aide de laques sur un panneau de bois. Cette œuvre illustre la polymorphie de mon travail…

3. Légendes urbaines.

Le milieu de l'art n'échappe pas aux légendes urbaines, cela participe à son charme. Parfois une œuvre n'est que légende, c'est l'imaginaire et le rêve suscité qui a de l'intérêt et non la chose matérielle. La toile totalement blanche fascine particulièrement, citons les toiles de Cy Twombly ou de Robert Ryman. En Belgique nous avions eu un précurseur, Walter Leblanc, qui a peint des toiles blanches avec ficelles. J'évoque cette fascination pour le monochrome blanc dans une page de mon "Histoire d'art et de pavés", sur mon autre blog. Tant mieux si des toiles blanches peuvent susciter autant de rêves, je dois avouer que moi elles me laissent de marbre (blanc).

"Ne crois en rien si ce n'est en ce que tu auras d'abord éprouvé par toi-même". 

Il y a des légendes urbaines moins innocentes, si on peut partir de la présupposition que le milieu de l'art soit innocent. Des collectionneurs spéculateurs prétendent naïvement (ou pas) qu'à l'heure d'Internet il n'y a plus aucun artiste qui n'échappe à leur œil de lynx. Bien sûr des galeristes mondains, certains critiques, conseillers ou curateurs d'art entretiennent soigneusement ce mythe. Il leur donne cette impression de toute-puissance dont ils ont tant besoin pour avoir l'impression d'exister. La réalité est toute autre. Pour être autre-chose qu'un collectionneur spéculateur esclave de la "cote" et des experts il faut être curieux et faire ses propres recherches. La paresse n'est pas de mise. Mais pour cela il faut aimer l'art. L'approche bouddhiste est d'application: "ne crois en rien si ce n'est en ce que tu auras d'abord éprouvé par toi-même". 

4. Quand la cote du plagiaire est quarante fois plus élevée que celle du plagié...

Pour révéler l'inanité de ce mythe, rien ne vaut un bon exemple. Un artiste chinois, Ye Yongqing, plagie les œuvres d'un artiste belge, Christian Sylvain. Le problème est que les œuvres du plagiaire, nettement moins intéressantes, se vendent entre quarante et cent fois plus cher que les œuvres du plagié. Et aucun de ces conseillers en art, journaux spécialisés, salles de vente ou autres spécialistes n'ont vu le subterfuge. Ils étaient (et restent) totalement aveugles (1). Ce scandale récent n'est que la pointe visible d'un gigantesque iceberg. Il vaut mieux être un artiste appartenant à une grande puissance mondiale plutôt qu'à un petit pays: Christian Sylvain ne portera pas plainte contre Ye Yongqing, c'est le pot de terre contre le pot de fer. Les spéculateurs et les mondains peuvent continuer à dormir tranquille et à avaler leur boue prémâchée.

5. La spéculation, outre son coté arbitraire, emprisonne l'artiste.

Comme je l'expliquais dans ma note précédente, j'ai la chance que mes œuvres ne soient pas l'objet de la spéculation. Cela permet à mon travail de rester accessible aux vrais collectionneurs, ceux qui ont de la personnalité, ceux qui sont à la recherche de la perle. Et tant pis pour les autres, ceux qui misent plusieurs fois plus d'argent sur un vulgaire plagiat plutôt que sur une œuvre originale.

Le peintre Paul Delvaux était particulièrement effrayé à la fin de sa vie par les cotes que ses tableaux pouvaient atteindre. Il était choqué par la spéculation engendrée par ses œuvres. Du coup il lui était impossible de racheter un de ses propres tableaux! C'est un peintre qui, avec René Magritte, a nourri toute mon enfance. On pouvait acheter leurs tableaux dans des galeries d'art comme la célèbre Galerie Isy Brachot au Zoute. Mes parents m'y emmenaient régulièrement lorsqu'on était en vacances à la mer. Maintenant leurs œuvres se retrouvent dans des musées et sont inabordables! Mes œuvres sont dispersées un peu partout dans le monde mais aucune n'est surcotée, donc aucune ne se retrouvera enterrée dans un port franc à Genève ou au Luxembourg comme monnaie d'échange...

6. Pour rester créatif il faut sans cesse observer les choses avec un œil neuf.

Pour rester créatif il faut sans cesse observer les choses avec un œil nouveau et appréhender le monde comme si on était un débutant. C'est pour cette raison que j'aime explorer des terrains neufs et expérimenter des choses autres. Magritte, à une époque où il avait déjà trop de succès, a eu l'herbe coupée sous les pieds quand il a voulu aborder une période nouvelle: la période vache (pdf, voir page 4). Ses galeristes et ses collectionneurs lui ont vivement conseillé d'abandonner ce nouveau style. Il a du retourner dans les ornières qu'il avait lui-même creusées! 

"L'esprit du débutant contient beaucoup de possibilités,

mais celui de l'expert en contient peu."

Moi heureusement j'échappe encore à ces diktats. Cela me permet d'explorer toutes sortes de pistes sans devoir rendre de comptes à personne. Pour conclure j'aime particulièrement cette maxime de Shunryu Suzuki: "L'esprit du débutant contient beaucoup de possibilités, mais celui de l'expert en contient peu."

(1) Un peu à l'image des agences de notation à la veille de la grande crise financière de 2007-2008...

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