392) Mes premières cartes à jouer.

 

Tarot Dalmate, planche éditée en noir et blanc
puis coloriée à la main, © Eric Itschert.

Les cartes à jouer, elles aussi, existaient longtemps avant les NFT. Elles attiraient bien des collectionneurs. Certains tarots ont atteint des prix élevés en vente publique. Et bien sûr on m’a demandé d’en faire.

Dos d'un tarot dit "de Marseille", réalisé pour les Éditions Louis Musin.
© Eric Itschert.

1. Dos des lames d’un tarot.

Ci-haut je montre le dos des lames d’un tarot dit « de Marseille » réalisé pour les Éditions Louis Musin et imprimé en janvier 1983. À l'époque le dessin par ordinateur n'existait pas encore, tout était donc 'fait main'. Les couleurs ont été finalisées par l'imprimeur une fois l'illustration terminée et scannée. Il me suffisait de lui donner le numéro des tons que je voulais, sur base d’un nuancier Pantone. Ainsi aucun malentendu n’était possible.

2. Le Tarot Dalmate

Le Tarot Dalmate a été un projet où je me suis bien amusé au départ, moins à l’arrivée. Car malheureusement les événements ont torpillé son achèvement et sa sortie. Initialement prévu pour les Éditions Louis Musin, le projet a été mis dans un tiroir lors de la cessation d’activité de l’éditeur. Louis Musin meurt en 1981, mais les éditions, reprises, continuent pendant un petit temps.

Le Tarot Dalmate se voulait une ode à l’entente des peuples d’un pays aux racines multiculturelles, je pensais à la Yougoslavie sans la nommer. La guerre des Balkans (1991 – 2001) avec toutes ses horreurs et l’éclatement du pays ont définitivement coulé le projet : le cœur n’y était plus.

Rien n’avait encore été imprimé. Seules deux planches ont été tirées en noir et en blanc, puis coloriées à la main pour une poignée de collectionneurs. Le projet de les colorier au pochoir pour une édition plus importante a lui aussi été abandonné.

Tarot Dalmate, planche éditée en noir et blanc
puis coloriée à la main, © Eric Itschert.

3. Une symbolique contemporaine

3.1. Le vice contre la vertu.

Si ce tarot a une forme plutôt classique, j'ai par contre complètement revu sa symbolique. Prenons un exemple: la carte 6 "Gli Amanti", les amoureux. Un jeune homme semble hésiter entre deux femmes. La femme de gauche est âgée et rébarbative, celle de droite jeune et attrayante. Les discours anciens, typiques de la moralité hypocrite, bourgeoise et puritaine du dix-neuvième et début vingtième siècle, expliquaient que la femme âgée représentait la vertu, et la jeune le vice. Comme si la vertu était rébarbative! Il fallait encourager les jeunes à se sacrifier et finalement ne pas vivre, pour alimenter la machinerie productiviste et capitaliste ou pour servir de chair à canon.

3.2. La perte de l'innocence

J'ai modifié un arbre de la carte: l'arbre au-dessus de la vieille femme est mort et stérile. Des corneilles ou des corbeaux le survolent. L'arbre de droite est vivant et porte des pommes. des oiseaux blancs le survolent. On en revient à ma préoccupation dans mes tableaux de la série "Éden": être amoureux est une chance et une opportunité énorme. Vivre les délices de l'état amoureux nous permet ensuite de transformer cet état premier en amour véritable si nous sommes prêts. Mais forcément toute chose a son prix: ici c'est la perte de l'innocence.

En aimant véritablement l'autre tel qu'il est, on va vers l'autre. Mais pour aller vers l'autre il faut d'abord avoir réussi à aller vers soi-même, l'Amour nous révèle à nous-mêmes. Et je vois notre passage sur cette terre comme étape nécessaire pour grandir et évoluer, non comme une "chute" dans le mauvais sens du terme. Il fallait mordre dans la pomme pour passer du Jardin de l'Eden à la Jérusalem Céleste.

On est très loin de la moralité du 19ème et début vingtième, où tout finissait mal de toute manière: 

A. Le jeune homme épouse la vieille femme, pour disons unir deux patrimoines, ou deux familles nobles fins de race à force de se marier entre eux, mais son âme se meurt. Ensuite il trompe sa femme qu'il n'a jamais aimé, pour faire des petits bâtards qui seront au mieux méprisés, et au pire vendus à l'adoption ou assassinés dans une institution religieuse quelconque. Tout le monde est malheureux.

B. Le jeune homme n'écoute pas sa famille, et épouse la jeune fille dont il est amoureux: il est déshérité et ne parvient pas à nourrir sa famille, il est rejeté par tout le monde et finit par sombrer dans l'alcoolisme pendant que sa progéniture meurt de faim.

 

Tout est culpabilisant et augustinien dans cette horrible moralité. Je suis d'accord avec Nietzsche quand il dit que la moralité tue la morale! 

3.3. Vivre sa vie dans l'authenticité

La carte incite donc à ne pas se laisser empoisonner par une moralité mortifère. Vivez votre vie, que l'Amour soit votre première préoccupation. et ne craignez rien, l'Amour aussi a son éthique!