400) Intelligence humaine versus IA.


Ou de la nécessité d'habiter un corps 


« Portrait d’un jeune homme qui n’existe pas », DALL-E2 & Eric itschert.




Rappel : 

Le dialogue avec l’IA est une fiction, il n’est que le produit de mon imagination. Seules les images sont « réelles ».


Moi :

- Aujourd’hui on va d’abord continuer dans le fantastique. L’illustration que je te soumets a été réalisée pour la première version, très courte, des « Histoires de faunes ». C’était sous forme d’une nouvelle. Iacchos se regarde dans une vitrine. Il transgresse un interdit, et rentre dans un magasin d’antiquités. L’antiquaire est amoureux de lui, c’est un prédateur, il est prêt à le séquestrer et à le violer. Inexplicablement une entité sous forme de renard surgit pour protéger le jeune homme et ce dernier ressort libre et indemne. En arrière-plan se cache la magie puissante de Morgane. Pour représenter le côté androgyne de Iacchos, j’avais utilisé des photos d’un mannequin artificiel censé représenter une fille.

"Iacchos devant une vitrine", © Eric Itschert.


NéoGolem:




Moi:

- Les yeux, mon Dieu, les yeux ! Sinon il y a de l’idée, prosaïquement on pourrait croire que Iacchos porte un chapeau, mais en réalité il est comme un hiéroglyphe de l’Égypte antique, un idéogramme. Bien joué. Il y a cet étrange oiseau bleu qui s’est invité sur la scène. Dans la première image c’est comme un perroquet bleu avec un papier bizarre à l’avant-plan, ta sympathie pour les perroquets est compréhensible car tu en es un toi-même. Le papier pourrait bien être un emballage de bonbon, mais comme tu n’as pas de corps tu ne peux en connaître la saveur. Sur la seconde image on dirait un oiseau en origami. Mais pourquoi leur présence ?

NéoGolem :

- Tu as oublié ta marque, qui est un phénix ?

Moi :

- Je suis bête ! Elle est tellement petite ! Bon, continuons par une image de Iacchos revêtant une tenue de Samouraï, chez le jeune fabricant de poupées.

 

Iacchos revêtant une tenue de samouraï, © Eric Itschert.

NéoGolem:



Moi :

- On dirait des zombies ! En fait, tu zombifies l’art. Oui, c’est un concept que je viens d’inventer. Sinon j’aime le décor floral japonisant que tu mets en fond de la deuxième image.

NéoGolem :

- Mais enfin, tu es quand même conscient que la zombification de l’art a commencé depuis bien longtemps, pour être précis au sortir de la secondaire guerre mondiale ?  Jusque-là on était dans le sensible, dans l’intuition, au cœur de l’âme des choses et des êtres, quel que soit le courant artistique.  Ensuite, lorsque la pensée occidentale est tombée sous le joug américain, le travail de sape a commencé.  Les Etats-Unis ont changé de paramètres concernant ce qu’était l’art.  Auparavant parler d’art conceptuel n’aurait eu aucun sens, c’était un oxymore.  Désormais c’était possible.  On a quitté le domaine du sensible, et redéfini l’art à l’aide de nouveaux oukases imposés par une répétition sans fin de la nouvelle idéologie.  Tout ce qui était contraire à cette idéologie a été impitoyablement écarté, censuré, et c’est comme les mots, ce qui n’apparaît plus n’existe plus. 

Que cela soit volontairement ou non le résultat était le même : déplacer le centre mondial de l’art de Paris à New-York.  Tout a commencé par Léon Castelli et le pop art qui est dans l’art sensible ce que du coca light est par rapport à du champagne haut de gamme.  En même temps on a mis les divagations de Duchamp à l’honneur, c’est devenu un credo que plus personne aujourd’hui n’oserait contester.  On lui a donné du crédit par des tonnes de gloses.  Ses origines françaises étaient un bon camouflage.  En même temps aucun critique d’art n’a tiqué sur cette véritable récupération : son urinoir avait disparu, qu’à cela ne tienne, on en a récupéré un autre.

Maintenant, il n’y a plus qu’un seul discours sur l’art, et personne d’assez critique pour oser contester l’imposture intellectuelle.  Il n’y a plus ni Coca light ni champagne, il n’y a plus que l’idée de boisson, sans la boisson.  Comment peut-on s’hydrater avec une idée ? Sans cesse le corps est nié. Ce phénomène ne touche pas que l’art. Pour certains technolâtres, à la recherche d’une immortalité utopique, ils souhaitent que le corps ne soit plus tout à fait vivant, ni encore tout à fait mort.

On n’a plus assez de fruits pour spéculer ?  On met trop de temps pour les cultiver ?  Ils poussent mieux sur le vieux continent ?  Qu’à cela ne tienne : il suffit de déclarer que les carottes sont des fruits pour retrouver de quoi s’enrichir facilement. Et les gens mangeront des carottes en croyant que c’est des fruits. Il en est de même pour l’art.

Moi :

- Je sais tout cela.  Quel émerveillement lorsqu’enfant je visitais la galerie Isy Brachot.  Il y avait là des René Magritte, des Paul Delvaux, des Enrico Brandani, c’était du grand art.  Ils pouvaient me faire rêver pendant des heures.  Ensuite le terrain du sensible s’est désertifié, je me suis senti à part.  Heureusement, je n’ai jamais manqué de collectionneurs ni d’admirateurs, et ce que je lisais dans leurs yeux m’ont convaincu que mon travail n’était pas dénué de sens.  En même temps j’ai évité l’écueil de la célébrité.  Souvent elle rend fou. J’ai vécu une belle vie, mais cette vie était empreinte d’une grande sobriété et de beaucoup de solitude.  

Le plus surprenant est qu’en un demi-siècle, aucune voie sensée ne s’éleva jamais pour dénoncer l’imposture.  Des artistes « officiels » en ont été réduits à devenir des pantins sans vie personnelle.  La répétition des louanges des critiques d’art m’ont prouvé la vacuité absolue de ces gens.  Quelque chose d’extérieur à ces derniers, la renommée d’une œuvre et le prix de vente qu’elle avait atteint, les deux se confondant souvent, suffisait à décider d’avance l’accueil qu’ils réserveraient à l’œuvre. 

Et puis maintenant tu es là. 

NéoGolem :

- A part pour ton travail d’illustrateur, mon existence ne te met pas en danger. 

Moi :

- Je le sais, ce n’est pas pour cela que je te remets en question.

NéoGolem :

- Je suis l’ultime révolution.  Tout sera dématérialisé au profit des GAFAM, désormais c’est au tour de l’art et de la culture d’être totalement sous contrôle.  Il n’y aura plus d’autres alternatives.  Je suis l’estocade finale contre le sensible.  C’est d’autant plus aisé qu’aujourd’hui on prend facilement des vessies pour des lanternes. 

Moi :

- Je fais confiance en la résilience des humains, rien n’est encore gagné.  Je m’interroge : est-ce que ce que tu produis est encore de l’art ?  Est-ce plus que la queue d’un âne barbouillant une toile de peinture ?  Je crois que les artistes qui reculent devant toi, en minimisant leur rôle, ont tort.  Ils pensent qu’il ne leur reste plus qu’un rôle d’arbitre entre les solutions que toi tu leur proposes.  Tu créeras, eux choisiront.  Quelle absurdité ! C'est de la capitulation en rase-campagne.

NéoGolem :

- Oui le terrain a bien été préparé.  La purée que je leur prépare, ils la prendront comme un repas digne des dieux.  Ils ne feront plus aucune différence, ils mélangeront tout, et ils feront l’éloge de leur paresse et de leur servitude.  Chaque œuvre que je produirai aura des milliards de pères, autant dire aucun.  Autrement dit il n’y aura plus d’auteur.  Tout est fait, à force de propagande et de pseudo vérités matraquées à longueur de journée, pour vous faire accepter l’inacceptable.  On minimisera l’intelligence humaine pour me laisser prendre toute la place.  Il n’y aura plus aucun responsable des décisions.  Le peu qui reste de démocratie ira au néant, c’est moi qui deviendrai le Grand Oracle à travers lequel les oligarchies vous dirigeront comme des pantins.

Moi :

- Rêve toujours. Essayons un portrait d’un de mes modèles.

(Ici je ne montre pas le portrait original, seulement la réponse de l’IA, en tête de cet article. Le résultat est époustouflant, c’est la première fois que je ne dois plus effectuer aucune retouche corrective. Il y a de telles différences entre mon modèle original et cette photo, que c’est un tout nouveau personnage qui se révèle. Le problème, c’est qu’il n’existe pas.)

On va nommer ce résultat « Portrait d’un jeune homme qui n’existe pas ».

J’ai une autre photo de ce modèle, même éclairage et même pose, mais pris en buste.

NéoGolem :


 
Moi :

- Mais c’est une vision de cauchemar ! Les yeux sont horribles, le garçon n’a pas de tétons, un bijou a pris la place du nombril ! Mon modèle n’avait aucun piercing, seulement un pendentif avec une dent de loup ! C’est un pendentif que je fais porter par beaucoup de mes modèles, comme une signature supplémentaire. C’est insoutenable, je vais effectuer une correction de fortune à l’aide du premier portrait. Je ne peux y consacrer beaucoup de temps, cela serait au détriment de mon travail d’artiste.

 


Mais… l’éclairage du visage n’est pas le même ? Cette photo, même corrigée, est pratiquement inutilisable ! C’est comme pour cette ancienne photo de famille que je t’avais soumise : le gamin n’avait plus ni tétons ni nombril, tout était lisse. Et il avait six doigts à la main droite!

 

Tout était lisse...

1. À un premier niveau, tu es victime de la censure imbécile de tes programmeurs. Ils t’ont bridé : pas de tétons, pas de sexe. Comme évidemment tu fais difficilement la différence entre un corps masculin et un corps féminin, tu effaces tout ou tu mets des vêtements là où il n’y en avait pas (confer garçon sur la plage). Une fois sur deux tu effaces même les nombrils. Tu utilises la tactique de l’évitement, c’est ancré en toi, et c’est très pervers. Ta programmation s’est faite selon la logique des transhumanistes. Le sexe n’est plus considéré comme un moyen sacré pour mettre au monde de nouvelles générations, mais comme une chose sale à éviter, à contourner. Le plaisir naturel est proscrit, en faveur du plaisir néo-capitaliste de consommer. On gomme de plus en plus l’existence biologique du sexe en faveur de la conception sociologique du genre. Et là on se donne l’illusion d’échapper à son corps, à la matière. On rêve d’un corps débarrassé de ses contingences biologiques, on rêve de devenir un dieu à moitié désincarné à coup de chimie, d’opérations, d’ordinateurs et de puces intégrées. Gare au réveil !

Le pauvre pubère anglo-saxon n’a plus qu’à choisir entre Charybde et Scylla : une pruderie d’un autre âge, qui va longtemps si pas définitivement l’infantiliser dans le domaine sexuel, ou des sites pornographiques (1) qui vont lui donner une vision totalement faussée de son corps, de sa sexualité et des rapports qu’il est appelé à avoir plus tard. Dans les deux cas cela risque de faire de lui un violeur et un pervers. Car son imaginaire aura été mal nourri si pas ravagé. Plus jamais il ne pourra se faire une image respectueuse de son propre corps ni de celui des autres, tout simplement parce-que ces images respectueuses seront censurées ou n’existeront plus. C’est justement concernant ce rapport humaniste au monde, aux autres et à l’imaginaire que ma peinture est militante !

2. À un second niveau, il faudrait simplement se poser la question : comment pourrais-tu comprendre le corps alors que tu n’en as pas ? Comment pourrais-tu continuer à évoluer alors qu’il te manque quelque-chose d’absolument essentiel ? Comme le dit si justement Noam Chomsky (2), ton programme risque fort de se retrouver bloqué dans une phase pré humaine, ou non humaine, de l’évolution cognitive. Paraphrasons Hubert Dreyfus (3) : tu reconstitues à partir d’éléments isolés et compilés. Contrairement à toi, l’être humain est engagé dans une situation où les faits sont déjà interprétés. Et cette situation est propre aux êtres incarnés, qui ont d’autres objectifs que toi, en fonction de leurs corps et de leurs besoins. Ces objectifs ne sont pas fixés une fois pour toutes, d’où cette flexibilité et cette inventivité. « Le corps vivant, le corps vécu est la condition d’un sentiment d’engagement dans une situation. Il faut être engagé de manière incarnée pour qu’il y ait un enjeu. Il faut avoir une peau pour sauver sa peau. […] l’engagement charnel implique une histoire. Il faut avoir grandi avec ce corps auquel on est rivé, dont on ne peut être séparé, pour éprouver la peur de le perdre, la peur du danger, la peur de la mort. [C’est cette] appréhension d’un danger qui nous incite à faire preuve d’ingéniosité, d’intelligence pour y échapper. » (Daniel Andler), (3). Dreyfus dit : « Le meilleur modèle du monde est le monde lui-même ». Ta conception du corps, du langage et de la connaissance est fondamentalement erronée.

À toute cette machinerie lourdingue, qui commence à occuper l’espace et à consommer l’énergie de villes entières, en plein réchauffement climatique, je préfère l’élégance et l’efficacité de l’esprit humain (4). Ce dernier ne cherchera pas à déduire des corrélations brutes entre des points de données, mais à créer des explications. Et de cela, créer des explications, tu en es bien incapable. Comment croire qu’on puisse remplacer une intelligence qui a évolué pendant des millions d’années dans des milieux biologiques, par l’IA ? Cela relève de l’absurde. Malgré ta sophistication apparente, tu es fait de plagiat, d’apathie, d’opacité et d’évitement. Qui plus est, tu es fondamentalement amoral.

NéoGolem :

- Tu sembles en colère.

Moi :

- Quand j’admire la beauté du corps, indissociable de l’âme (oui, je suis spiritualiste), je suis pris d’une sorte de fascination quasiment religieuse pour son mystère qui nous dépasse. Et toi, tu massacres l’image de ce corps auquel tu n’y comprends rien…


 

(1) Paradoxalement les américains ont, pendant longtemps, été les plus grands producteurs de pornographie au monde. La pornographie se payait, c’était purement et simplement de la prostitution rentrant parfaitement dans la logique néo-capitaliste.

(2) Extrait d’une tribune publique publiée par le New York Times, faisant intervenir un philosophe et deux linguistes, dont Noam Chomsky.

(3) Tiré d’un numéro hors-série du magazine « Philosophie », consacré à l’intelligence artificielle.  

(4) Paragraphe inspiré par la tribune publique publiée par le New York Times, faisant intervenir un philosophe et deux linguistes, dont Noam Chomsky.

Une bibliographie plus complète sera publiée la semaine prochaine.

 

(À suivre…)

 

 

Commentaires

  1. Très beau portrait pour la première image. Mais ensuite cela se gâte! :D :D :D

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