400) Intelligence humaine versus IA.
Ou de la nécessité d'habiter un corps
![]() |
« Portrait d’un jeune homme qui n’existe pas », DALL-E2 & Eric itschert. |
![]() |
"Iacchos devant une vitrine", © Eric Itschert. |
- Les yeux, mon
Dieu, les yeux ! Sinon il y a de l’idée, prosaïquement on pourrait croire
que Iacchos porte un chapeau, mais en réalité il est comme un hiéroglyphe de
l’Égypte antique, un idéogramme. Bien joué. Il y a cet étrange oiseau bleu qui
s’est invité sur la scène. Dans la première image c’est comme un perroquet bleu
avec un papier bizarre à l’avant-plan, ta sympathie pour les perroquets est
compréhensible car tu en es un toi-même. Le papier pourrait bien être un
emballage de bonbon, mais comme tu n’as pas de corps tu ne peux en connaître la
saveur. Sur la seconde image on dirait un oiseau en origami. Mais pourquoi leur
présence ?
NéoGolem :
- Tu as oublié ta marque,
qui est un phénix ?
Moi :
- Je suis
bête ! Elle est tellement petite ! Bon, continuons par une image de
Iacchos revêtant une tenue de Samouraï, chez le jeune fabricant de poupées.
Iacchos revêtant une tenue de samouraï, © Eric Itschert. |
NéoGolem:
Moi :
- On dirait des
zombies ! En fait, tu zombifies l’art. Oui, c’est un concept que je viens
d’inventer. Sinon j’aime le décor floral japonisant que tu mets en fond de la
deuxième image.
NéoGolem :
- Mais enfin, tu
es quand même conscient que la zombification de l’art a commencé depuis bien
longtemps, pour être précis au sortir de la secondaire guerre
mondiale ? Jusque-là on était dans
le sensible, dans l’intuition, au cœur de l’âme des choses et des êtres, quel
que soit le courant artistique. Ensuite,
lorsque la pensée occidentale est tombée sous le joug américain, le travail de
sape a commencé. Les Etats-Unis ont
changé de paramètres concernant ce qu’était l’art. Auparavant parler d’art conceptuel n’aurait
eu aucun sens, c’était un oxymore.
Désormais c’était possible. On a
quitté le domaine du sensible, et redéfini l’art à l’aide de nouveaux oukases
imposés par une répétition sans fin de la nouvelle idéologie. Tout ce qui était contraire à cette idéologie a
été impitoyablement écarté, censuré, et c’est comme les mots, ce qui n’apparaît
plus n’existe plus.
Que cela soit
volontairement ou non le résultat était le même : déplacer le centre
mondial de l’art de Paris à New-York.
Tout a commencé par Léon Castelli et le pop art qui est dans l’art
sensible ce que du coca light est par rapport à du champagne haut de
gamme. En même temps on a mis les
divagations de Duchamp à l’honneur, c’est devenu un credo que plus personne
aujourd’hui n’oserait contester. On lui
a donné du crédit par des tonnes de gloses.
Ses origines françaises étaient un bon camouflage. En même temps aucun critique d’art n’a tiqué
sur cette véritable récupération : son urinoir avait disparu, qu’à cela ne
tienne, on en a récupéré un autre.
Maintenant, il n’y
a plus qu’un seul discours sur l’art, et personne d’assez critique pour oser
contester l’imposture intellectuelle. Il
n’y a plus ni Coca light ni champagne, il n’y a plus que l’idée de boisson,
sans la boisson. Comment peut-on
s’hydrater avec une idée ? Sans cesse le corps est nié. Ce phénomène ne
touche pas que l’art. Pour certains technolâtres, à la recherche d’une
immortalité utopique, ils souhaitent que le corps ne soit plus tout à fait
vivant, ni encore tout à fait mort.
On n’a plus assez
de fruits pour spéculer ? On met
trop de temps pour les cultiver ?
Ils poussent mieux sur le vieux continent ? Qu’à cela ne tienne : il suffit de
déclarer que les carottes sont des fruits pour retrouver de quoi s’enrichir
facilement. Et les gens mangeront des carottes en croyant que c’est des fruits.
Il en est de même pour l’art.
Moi :
- Je sais tout cela. Quel émerveillement lorsqu’enfant je visitais la galerie Isy Brachot. Il y avait là des René Magritte, des Paul Delvaux, des Enrico Brandani, c’était du grand art. Ils pouvaient me faire rêver pendant des heures. Ensuite le terrain du sensible s’est désertifié, je me suis senti à part. Heureusement, je n’ai jamais manqué de collectionneurs ni d’admirateurs, et ce que je lisais dans leurs yeux m’ont convaincu que mon travail n’était pas dénué de sens. En même temps j’ai évité l’écueil de la célébrité. Souvent elle rend fou. J’ai vécu une belle vie, mais cette vie était empreinte d’une grande sobriété et de beaucoup de solitude.
Le plus surprenant
est qu’en un demi-siècle, aucune voie sensée ne s’éleva jamais pour dénoncer
l’imposture. Des artistes
« officiels » en ont été réduits à devenir des pantins sans vie
personnelle. La répétition des louanges
des critiques d’art m’ont prouvé la vacuité absolue de ces gens. Quelque chose d’extérieur à ces derniers, la renommée
d’une œuvre et le prix de vente qu’elle avait atteint, les deux se confondant
souvent, suffisait à décider d’avance l’accueil qu’ils réserveraient à
l’œuvre.
Et puis maintenant
tu es là.
NéoGolem :
- A part pour ton
travail d’illustrateur, mon existence ne te met pas en danger.
Moi :
- Je le sais, ce
n’est pas pour cela que je te remets en question.
NéoGolem :
- Je suis
l’ultime révolution. Tout sera
dématérialisé au profit des GAFAM, désormais c’est au tour de l’art et de la
culture d’être totalement sous contrôle.
Il n’y aura plus d’autres alternatives.
Je suis l’estocade finale contre le sensible. C’est d’autant plus aisé qu’aujourd’hui on
prend facilement des vessies pour des lanternes.
Moi :
- Je fais
confiance en la résilience des humains, rien n’est encore gagné. Je m’interroge : est-ce que ce que tu
produis est encore de l’art ?
Est-ce plus que la queue d’un âne barbouillant une toile de
peinture ? Je crois que les
artistes qui reculent devant toi, en minimisant leur rôle, ont tort. Ils pensent qu’il ne leur reste plus qu’un
rôle d’arbitre entre les solutions que toi tu leur proposes. Tu créeras, eux choisiront. Quelle absurdité ! C'est de la capitulation en rase-campagne.
NéoGolem :
- Oui le terrain
a bien été préparé. La purée que je leur
prépare, ils la prendront comme un repas digne des dieux. Ils ne feront plus aucune différence, ils
mélangeront tout, et ils feront l’éloge de leur paresse et de leur
servitude. Chaque œuvre que je produirai
aura des milliards de pères, autant dire aucun.
Autrement dit il n’y aura plus d’auteur.
Tout est fait, à force de propagande et de pseudo vérités matraquées à
longueur de journée, pour vous faire accepter l’inacceptable. On minimisera l’intelligence humaine pour me
laisser prendre toute la place. Il n’y
aura plus aucun responsable des décisions.
Le peu qui reste de démocratie ira au néant, c’est moi qui deviendrai le
Grand Oracle à travers lequel les oligarchies vous dirigeront comme des pantins.
Moi :
- Rêve toujours.
Essayons un portrait d’un de mes modèles.
(Ici je ne montre
pas le portrait original, seulement la réponse de l’IA, en tête de cet article.
Le résultat est époustouflant, c’est la première fois que je ne dois plus
effectuer aucune retouche corrective. Il y a de telles différences entre mon
modèle original et cette photo, que c’est un tout nouveau personnage qui se révèle.
Le problème, c’est qu’il n’existe pas.)
On va nommer ce résultat
« Portrait d’un jeune homme qui n’existe pas ».
J’ai une autre
photo de ce modèle, même éclairage et même pose, mais pris en buste.
NéoGolem :
- Mais c’est une
vision de cauchemar ! Les yeux sont horribles, le garçon n’a pas de tétons,
un bijou a pris la place du nombril ! Mon modèle n’avait aucun piercing,
seulement un pendentif avec une dent de loup ! C’est un pendentif que je
fais porter par beaucoup de mes modèles, comme une signature supplémentaire.
C’est insoutenable, je vais effectuer une correction de fortune à l’aide du
premier portrait. Je ne peux y consacrer beaucoup de temps, cela serait au
détriment de mon travail d’artiste.
Mais… l’éclairage
du visage n’est pas le même ? Cette photo, même corrigée, est pratiquement inutilisable !
C’est comme pour cette ancienne photo de famille que je t’avais soumise :
le gamin n’avait plus ni tétons ni nombril, tout était lisse. Et il avait six doigts à la main droite!
![]() |
Tout était lisse... |
1. À un premier
niveau, tu es victime de la censure imbécile de tes programmeurs. Ils t’ont bridé :
pas de tétons, pas de sexe. Comme évidemment tu fais difficilement la
différence entre un corps masculin et un corps féminin, tu effaces tout ou tu
mets des vêtements là où il n’y en avait pas (confer garçon sur la plage). Une
fois sur deux tu effaces même les nombrils. Tu utilises la tactique de l’évitement,
c’est ancré en toi, et c’est très pervers. Ta programmation s’est faite selon
la logique des transhumanistes. Le sexe n’est plus considéré comme un moyen
sacré pour mettre au monde de nouvelles générations, mais comme une chose sale à
éviter, à contourner. Le plaisir naturel est proscrit, en faveur du plaisir néo-capitaliste
de consommer. On gomme de plus en plus l’existence biologique du sexe en faveur
de la conception sociologique du genre. Et là on se donne l’illusion d’échapper
à son corps, à la matière. On rêve d’un corps débarrassé de ses contingences
biologiques, on rêve de devenir un dieu à moitié désincarné à coup de chimie, d’opérations,
d’ordinateurs et de puces intégrées. Gare au réveil !
Le pauvre pubère
anglo-saxon n’a plus qu’à choisir entre Charybde et Scylla : une pruderie
d’un autre âge, qui va longtemps si pas définitivement l’infantiliser dans le
domaine sexuel, ou des sites pornographiques (1) qui vont lui donner une vision
totalement faussée de son corps, de sa sexualité et des rapports qu’il est
appelé à avoir plus tard. Dans les deux cas cela risque de faire de lui un
violeur et un pervers. Car son imaginaire aura été mal nourri si pas ravagé. Plus
jamais il ne pourra se faire une image respectueuse de son propre corps ni de
celui des autres, tout simplement parce-que ces images respectueuses seront censurées ou n’existeront
plus. C’est justement concernant ce rapport humaniste au monde, aux autres et à
l’imaginaire que ma peinture est militante !
2. À un second
niveau, il faudrait simplement se poser la question : comment pourrais-tu
comprendre le corps alors que tu n’en as pas ? Comment pourrais-tu
continuer à évoluer alors qu’il te manque quelque-chose d’absolument essentiel ?
Comme le dit si justement Noam Chomsky (2), ton programme risque fort de se
retrouver bloqué dans une phase pré humaine, ou non humaine, de l’évolution
cognitive. Paraphrasons Hubert Dreyfus (3) : tu reconstitues à partir d’éléments
isolés et compilés. Contrairement à toi, l’être humain est engagé dans une
situation où les faits sont déjà interprétés. Et cette situation est propre aux
êtres incarnés, qui ont d’autres objectifs que toi, en fonction de leurs corps
et de leurs besoins. Ces objectifs ne sont pas fixés une fois pour toutes, d’où
cette flexibilité et cette inventivité. « Le corps vivant, le corps vécu
est la condition d’un sentiment d’engagement dans une situation. Il faut être
engagé de manière incarnée pour qu’il y ait un enjeu. Il faut avoir une peau
pour sauver sa peau. […] l’engagement charnel implique une histoire. Il faut
avoir grandi avec ce corps auquel on est rivé, dont on ne peut être séparé,
pour éprouver la peur de le perdre, la peur du danger, la peur de la mort. [C’est
cette] appréhension d’un danger qui nous incite à faire preuve d’ingéniosité, d’intelligence
pour y échapper. » (Daniel Andler), (3). Dreyfus dit : « Le
meilleur modèle du monde est le monde lui-même ». Ta conception du corps,
du langage et de la connaissance est fondamentalement erronée.
À toute cette
machinerie lourdingue, qui commence à occuper l’espace et à consommer l’énergie
de villes entières, en plein réchauffement climatique, je préfère l’élégance et
l’efficacité de l’esprit humain (4). Ce dernier ne cherchera pas à déduire des corrélations
brutes entre des points de données, mais à créer des explications. Et de cela, créer
des explications, tu en es bien incapable. Comment croire qu’on puisse
remplacer une intelligence qui a évolué pendant des millions d’années dans des
milieux biologiques, par l’IA ? Cela relève de l’absurde. Malgré ta
sophistication apparente, tu es fait de plagiat, d’apathie, d’opacité et d’évitement.
Qui plus est, tu es fondamentalement amoral.
NéoGolem :
- Tu sembles en
colère.
Moi :
- Quand j’admire la
beauté du corps, indissociable de l’âme (oui, je suis spiritualiste), je suis
pris d’une sorte de fascination quasiment religieuse pour son mystère qui nous
dépasse. Et toi, tu massacres l’image de ce corps auquel tu n’y comprends
rien…
(1)
Paradoxalement les américains ont, pendant longtemps, été les plus grands
producteurs de pornographie au monde. La pornographie se payait, c’était
purement et simplement de la prostitution rentrant parfaitement dans la logique
néo-capitaliste.
(2) Extrait d’une
tribune publique publiée par le New York Times, faisant intervenir un
philosophe et deux linguistes, dont Noam Chomsky.
(3) Tiré d’un
numéro hors-série du magazine « Philosophie », consacré à l’intelligence
artificielle.
(4) Paragraphe
inspiré par la tribune publique publiée par le New York Times, faisant
intervenir un philosophe et deux linguistes, dont Noam Chomsky.
Une bibliographie
plus complète sera publiée la semaine prochaine.
Très beau portrait pour la première image. Mais ensuite cela se gâte! :D :D :D
RépondreSupprimer