263) Buste de faune...

Et matériel volé.

En voyant récemment une émission (Arte) sur l'artiste Robert Mapplethorpe,  j'ai remarqué que lui aussi avait eu ce problème avec ce que lui et son amie Patty Smith appelaient si élégamment 'le vol de matériel'. Il s'agit, pour un travail, d'emprunter une ou des photos à gauche et à droite afin de les réinterpréter dans une nouvelle composition. C'est un phénomène récurrent chez beaucoup d'artistes. Aucun de mes artistes préférés, y compris David Hockney, n'y échappe à l'un ou l'autre moment de sa vie. D'autres artistes préfèrent parler de "matériel recyclé", de "recontextualisation" ou encore d' "appropriation". Bien sur moi je n'y échappe pas non plus. Pourtant je préfère nettement démarrer à partir de zéro, et utiliser du matériel entièrement fait maison, afin de concevoir mon œuvre de manière totalement autonome. Je me permets le luxe de travailler, la plupart du temps, avec mes propres modèles.

La première fois où je me suis approprié du matériel pour un travail important c'était parce-que je n'avais pas encore les moyens de faire poser des modèles (local, relations, matériel...). C'était lors de la peinture des premiers panneaux du retable de l'église Saint-Marc à Uccle en 1987. Je m'inspirais d’œuvres du passé. Un abbé me donna aussi du matériel contemporain. Parmi les photos transmises il demanda de m'en inspirer pour peindre au moins deux des jeunes hommes représentés sur le retable. Ce mélange de personnages d'époques différentes me ravissait. Je ne copiais jamais, je réinterprétais. Pour Marie Madeleine je me suis inspiré d'une jeune femme vue dans un magazine de mode. La beauté de la fille, sa contemporanéité et la transparence de sa robe ont fait un terrible scandale à l'époque. J'ai failli devoir repeindre entièrement le personnage. Et une mère de famille très catholique me reprocha le côté trop lascif de mes archanges sur le panneau central. Son fils en avait pris un peu trop de photos à son goût. Je lui ai gentiment déconseillé d'aller visiter le Vatican, intérieurement j'ai plaint son fils. Pour les derniers panneaux je pus enfin faire poser des amis artistes et travailler sur mon propre matériel...

La dernière fois où je me suis amusé à picorer du matériel dans des magazines et à les mélanger à mon propre matériel est pourtant toute récente. Ce fut pour la réalisation d'une de mes photos tramées. Les photos tramées furent présentées pour la première fois à l'exposition "Irréductibles", au Tels Quels, début 2017. Le but était de brouiller tous les repères.

Il m'est donc arrivé d'avoir un coup de cœur pour un visage vu dans une publicité ou sur Internet. Ensuite ce visage devenait une obsession, je voulais absolument en faire quelque-chose pour qu'il puisse enfin quitter mon cerveau. Tout l'art d'un artiste consiste alors à en faire  une chose nouvelle et originale, sous peine sinon de tomber dans le pastiche. 

Pour ce faune j'étais tombé en arrêt devant un visage découvert sur Internet. C'était la photographie d'un jeune homme polonais. La photo était certes très belle mais c'était le visage qui m'intéressait et non le talent du ou de la photographe. Il me fallait donc remodeler entièrement ce visage afin de me l'approprier et de créer une nouvelle œuvre...

‘Faune couronné de roses’,
crayon, encre blanche et aquarelles professionnelles Winsor & Newton sur papier chiffon,
© Eric Itschert