357) Les voiles jaunes

 

Sans titre, aquarelle sur papier coton Arches 300 g/m2,
 41 cm x 31 cm, © Eric Itschert

Une étude de couleurs

Cette aquarelle de voilier est un prétexte pour analyser une gamme de couleurs. Cette gamme sera ensuite utilisée dans d’autres œuvres, dont « 358) L’éveil » .

Au départ je me suis inspiré d’une photo d’une aquarelle d’un peintre suisse, Gustave Buchet. L’aquarelle date du siècle dernier, le papier n'est pas bon, il a fortement jauni. Elle représente un voilier aux voiles initialement blanches. Les couleurs ont perdu leur éclat d’origine, mais leur vieillissement a apporté son lot de surprises. J’ai eu un véritable coup de cœur pour cette aquarelle, il me fallait savoir pourquoi.

Quand on s’inspire d’une œuvre il faut faire soit mieux soit autre. J’ai voulu faire autre. J’ai d’abord réétudié les lignes directrices et la composition de l’ensemble. Ensuite j’ai observé les couleurs en présence avec des formes géométriques en papier. Mon voilier est plus éloigné du spectateur, il est plus petit, pour un rééquilibrage des couleurs (jaune soutenu contre ocre chaud, mauve, gris, bleu et ajout d’un carré rouge). L'angle d'approche du voilier a changé. En fait ce voilier n’est plus qu’un prétexte à assembler des couleurs.

Des voiles jaunes

L’aquarelle dans son état d’origine n’aurait peut-être pas autant attiré mon attention. Mais le blanc jauni a immédiatement attiré mon regard : il fallait faire beaucoup plus jaune encore.

J’ai donc remplacé les voiles blanches par des voiles d’un jaune soutenu et y ai ajouté un carré rouge. Si le jaune chante, c’est parce qu’il est placé parmi des couleurs complémentaires.

Les couleurs complémentaires

C’est au siècle passé qu’il y eut les premières études de couleurs considérées au point de vue de la physique. Mais n'oublions pas de citer des précurseurs tel que Goethe et son "Traité des couleurs" (1790 - 1823). Entre 1928 et 1952 les termes ont changé, mais les préoccupations restèrent les mêmes. Mon jaune chante parce qu’il est entouré de couleurs complémentaires. Si je prends le disque d’harmonie chromatique d’une grammaire du dessin de 1928, lorsque les mauves, violets et bleus sont des couleurs dominantes, le jaune est considéré comme couleur tonique. 

Disque chromatique, ‘Grammaire du dessin’ d’Henry Balth

Le cube des couleurs d’Alfred Hickethier

Si j’analyse ces couleurs à la lumière du cube des couleurs (1) d’Alfred Hickethier (1973 en nouvelle édition Dessain et Tolra), le jaune est la couleur complémentaire du bleu-violet (les termes ont changé, mais pas le mode d'analyse). Sur la figure ci-dessous, dans le cercle des couleurs, la complémentaire est la couleur d’en face. Pour mettre une couleur en valeur, rien ne vaut l’utilisation de sa complémentaire en environnement. Enfin, pour atteindre l'harmonie, le jaune doit être utilisé en moins grande quantité-surface que le bleu-violet.

‘Le cube des couleurs’ d’Alfred Hickethier,
le cercle coloré en 18 parties.

Alfred Hickethier utilise soixante-quatre couleurs de base pour développer un cube de couleurs. Chaque couleur est définie par un numéro indicateur de trois chiffres; ce numéro, résultant du pourcentage des trois couleurs de base, permet de trouver sans difficulté la formule du mélange souhaité, à partir du jaune, du rouge (magenta) et du bleu (cyan). Le jaune est indiqué par les centaines donc 900 pour le jaune pur, le rouge par les dizaines donc 090 pour le rouge pur, et le bleu par les unités, donc 009 pour le bleu pur. Pour donner un exemple, 906 nous donnera un vert soutenu, mélange de jaune pur et de 6 parts de bleu. 

L'analyse des couleurs sera approfondie dans la note 359) Formes et couleurs.

(1) L'article sur Wikipédia est juste tant qu'il se contente de rester objectif (première partie). La deuxième partie "Le projet n'a eu qu'un succès limité pour deux raisons prévisibles" n'a pas de sens. Un nuancier de couleurs n'a jamais eu comme fonction d'étudier les textures, c'est d'un autre ordre. Et le propre du nuancier d’Alfred Hickethier était justement de ne pas dépendre de la lumière sous laquelle on voyait les couleurs: deux des trois couleurs primaires étaient définies techniquement, de telle manière qu'il n'y ait aucune confusion possible, quel que soit l'éclairage, le pigment ou le médium utilisé: cyan pour le bleu et magenta pour le rouge. Seul le jaune était moins bien défini. Enfin écrire que le projet "n'eut pas de suite" manque totalement d'objectivité: la méthode, victime de sa trop grande simplicité dans le monde industriel, fut justement utilisée en raison de cette même simplicité par des générations d'élèves et d'étudiants en art et en architecture. Je ne connais aucune autre méthode qui soit aussi claire et pratique pour enseigner une première base de la théorie des couleurs!