402) L’utilisation de DALL-E2 fait tache d’huile.

"Double portrait", dessin numérique, © Eric Itschert.

 
(Complété le 29 août 2023 pour les images, et corrigé le 30 août 2023 pour le concept du "splash art")

En quelques mois l'utilisation de DALL-E2 fait tache d'huile.


Rappel :

La paternité des images est intentionnellement brouillée. Seules les images dues aux requêtes textuelles sont entièrement le produit de l’IA DALL-E2, à part la correction de montagnes en arrière-plan pour la première requête. Les autres images sont plus ou moins dues à mon travail, avant et après l’intervention de l’intelligence artificielle. L’image « Les papillons bleus » n’est plus due à l’IA générative qu’à peu près pour 1/3 du travail mais elle fait figure de test, elle est inutilisable.

 La paternité des images se dilue, il n’est plus possible de dire ce qui est dû à qui. Seule l’image en tête de cet article est entièrement mienne.

1. Un réveil trop tardif


Les artistes se réveillent, malheureusement beaucoup trop tard. Des universitaires ont mis en place un outil gratuit pour défendre le travail et la créativité des artistes contre l’imitation des IA. Grâce à cet outil, l’IA générative ne pourrait plus « apprendre » le style d’un artiste. L’outil s’appelle « Glaze ». Mais c’est inutile, l’intelligence artificielle générative a déjà pillé tout notre travail, et quand bien même on présente aujourd’hui des IA génératives soi-disant éthiques, on serait bien en mal de vérifier si réellement elles le sont. L’outil Glaze est comme un coup d’épée dans l’eau : dans les semaines qui viennent l’outil pourrait déjà être contré par l’IA. L’IA est redoutable, comme je l’ai déjà expliqué elle parvient à retrouver avec une facilité déconcertante les données fantômes d’une photo.

Je ne me fais plus aucune illusion quant à mon travail d’illustrateur, cela m'étonnerait beaucoup que j'aie encore des commandes. Mais pour mes propres textes cela restera utile, par jeu. Heureusement mon travail d’artiste continue dans sa production de dessins et peintures réels. Rien ne changera pour moi. 

Toutefois on vit dans un brouillard juridique total.

La victoire de l'IA générative sur l'humanité, cela sera quand les gens abandonneront leur travail artistique et cesseront de créer.

2. Une vulgarité sans nom s’insinue dans tous les domaines de l’illustration.


On sait donc que les IA génératives ont pillés des années de travail d’artiste. Comme la résultante du pillage est une moyenne, on ne s’étonnera pas de l’extrême vulgarité des résultats obtenus par requête textuelle. 

Mais il m’a semblé qu’en quelques mois bien des artistes étaient à leur tour influencés par les IA. Il suffit de voir toutes les images générées sur Internet, et en particulier dans le domaine du fantastique.

Une uniformisation par le bas s’est mise en place, une platitude sans nom envahit tous les lieux du fantastique. Prenons un exemple, les châteaux du moyen-âge. Ces châteaux ne tiennent pas la route. Cela fait mal à mes yeux d’architecte rien que de voir à quel point ils sont absurdes. On voit un donjon très haut et beaucoup trop mince, relié par un pont maigrelet au reste du château. Mais le donjon est en dehors de l’enceinte du château et on se demande à quoi sert une construction aussi dénuée de sens (1). Sur d'autres reconstitutions, on voit des contreforts énormes pour soutenir de minuscules murets de jardin, mais aucun contrefort pour soutenir des murs immensément hauts et plusieurs étages d’habitat. Tout est à l’avenant, rien ne tient. C’est du Disneyland au carré, un vrai cauchemar.

On désapprend aux gens de regarder. Il y a aussi pléthore d’univers futuristes, ils se ressemblent tous, avec les mêmes recettes, les mêmes tics, aucun ne sort du lot. Quant à essayer de trouver ne fut-ce qu’un gramme de poésie dans tout cela, on repassera. Du coup je me pose la question : l’IA générative va-t-elle booster notre créativité, ou au contraire elle va la tuer à petit feu ? En attendant il y a un début d'osmose entre certains artistes et l'IA, mais comment savoir si le travail de ces artistes est influencé par l’IA, ou vice-versa, si c’est l’IA qui est influencée par ces artistes ? Autrement dit, qui influence qui ?

3. Qui influence qui ?


La seule manière de s’en faire une idée, c’est d’interroger les artistes eux-mêmes. J’ai donc pris mon courage à deux mains et suis allé à la foire d’art « Art3f » à Courtrai après une première enquête sur Internet. Pourquoi ce choix ? Il ne fallait rien espérer de foires d’art contemporain mondain à Bruxelles ou de visites de galeries chic et toc à la côte. Ils en sont toujours aux croutes avec tartinées de peinture acrylique séchée, aux cartoons américains ou aux tags dont l’agrandissement le dispute à la niaiserie, aux têtes de mort 2D ou 3D décontextualisées sous toutes leurs formes et dans toutes les matières, aux points, carrés et rayures de tous calibres ou encore à la pléthore de monochromes et de papiers peints soporifiques. Beaucoup de nouveaux riches n’ont aucun goût. L’art d’amasser l’argent n’a rien à voir avec la délicatesse ni la culture, si c'était vrai cela se saurait. Il me fallait aborder des artistes contemporains figuratifs.

C’est fou comme on en revient au clair-obscur style le Caravage.

Parmi tous ces artistes et leurs œuvres il me fallait repérer les travaux qui trahissaient d’évidence l’intervention d’une IA générative. Ma surprise a été grande quand j’ai trouvé trois artistes qui avaient manifestement utilisé l’IA pour leur travail. Trois autres étaient pour moi en balance. C’est fou comme on en revient au clair-obscur style le Caravage. Pourtant les conditions pour recréer de telles œuvres sont très difficiles. Sauf à en revenir à la vraie "camera obscura" lors d'une belle journée de soleil (qui en possède encore une de nos jours), il faut utiliser des éclairages bien précis sur ses modèles, et peu d'artistes possèdent un matériel aussi sophistiqué. Or ces œuvres poussent comme des champignons.

4. De surprise en surprise.


Parmi les œuvres qui trahissaient l’intervention de l’IA, que ce soient des peintures où l’artiste a copié plus ou moins laborieusement une création d’IA, ou que ce soient des photos, il y avait plusieurs manières de les reconnaître. 

4.1. Les inclusions de bijoux.



Des inclusions de bijoux dans des portraits style clair-obscur...

Une des manies de l’IA DALL-E2, c’est l’inclusion de bijoux dans les corps. Cela peut-être un bijou dans le nombril, des boucles d’oreilles, un bijou à la place d’un des yeux, un bijou à la place d’un troisième œil, un bijou au bout d’un pendentif. Parfois c’est assez horrible, le cordon d’un pendentif peut sembler avoir été cousu dans la peau du modèle, parfois c'est très charmant et inattendu. J’en ai reproduit deux exemples ci-haut, dans le style clair-obscur.

4.2. Les inclusions de visages ou de masques sur un visage.


Une seconde tête surgit d'un visage.

J’en ai reproduit un exemple ici, à partir d’une de mes œuvres. Le personnage ne porte plus le masque, il l’intègre carrément comme un deuxième visage émergeant de sa chevelure.

4.3. Les scories.


Portrait comportant des scories en arrière-plan,
bulles, boules de Noël, bijoux…

Les scories ou résidus sont assez fréquents sur les images produites par l’AI générative. Soudain on voit des éléments minuscules qui ressurgissent d’on ne sait quelles recherches antérieures. On peut en voir sur une des images de la ville montrée dans l’article 399). Sur cette image on peut imaginer tout ce que l’on veut, une sorcière sur son balai, un vaisseau spatial issu de « Star Wars », un avion en perdition, des boules et une étoile de Noël en cristal suspendues au ciel. Quand j’ai pris la photo originale de la maquette de la ville, il y avait bien un arbre de Noël à côté, mais on ne me fera pas croire qu’il pourrait exister des traces fantômes de l’environnement de ma photo. En tout cas toutes ces petites scories sont amusantes et inattendues. J’en montre un autre exemple ci-haut, sur un portrait reconstitué pour l’occasion. J'en ai un peu rajouté, je l'avoue: repérez les intrus!


Parmi les œuvres où le doute était permis, il y avait toutes les œuvres qui ressemblaient comme deux gouttes d’eau à des productions générées par les IA. Mais rien n’était dit que ce n’était pas les IA qui s’étaient inspirés d’œuvres existantes à la mode :

4.4. Des scènes avec papillons

"Les papillons bleus", visage symétrique.

J’avoue, moi aussi j’aime beaucoup utiliser des papillons dans mes illustrations. Mais parfois trop c’est trop, et les papillons recouvrant un visage ne se comptent plus (ci-haut « Les papillons bleus », une expérience réalisée avec une symétrie parfaite et forcée d’un visage, et en-dessous "Portrait en noir et blanc 4563").


"Portrait en noir et blanc 4563" E.I. et NightCafé

4.5. L’architecture intérieure avec un net goût pour le bois et les paysages d’Amérique du Nord.

 


“Une chambre avec vue sur un lac, des montagnes, une bibliothèque, un bureau avec du courrier, un lit avec des coussins colorés, hyperréaliste, digital art”.

Pour illustrer cette mode de peindre des intérieurs contemporains américains, j’ai réalisé une requête textuelle au lieu d’une requête d’après photo : “Une chambre avec vue sur un lac, des montagnes, une bibliothèque, un bureau avec du courrier, un lit avec des coussins colorés, hyperréaliste, digital art”.

Et l’IA me ressert systématiquement des chambres dans le goût nord-américain, des constructions réalisées en bois, fort belles au demeurant, alors que je n’avais pas spécifié ces critères. Comme par hasard, dans les foires d'art, des peintures fleurissent dans le genre, lampes bizarres et tapis aux dessins vagues compris, encore des copies laborieuses sans beaucoup de plus-value de productions de l’IA générative. 

Tous ces artistes sont devenus de parfaits petits esclaves de l’IA et pérenniseront ce qui sinon risquerait de s'effacer, avec le temps, dans la masse.

4.6. Les enfants barbouillés de peinture.

 

Des enfants barbouillés de peinture…

Rien ne fait plus fureur actuellement que des enfants barbouillés ou se barbouillant de peinture. On en voit des cohortes, que dis-je, des légions ! On les voit dans des productions en série d’artistes, dans des publicités, dans des productions d’IA, et même les sculptures d’enfants n’échappent plus à ce barbouillage coloré. C’est si tendance, « il faut en être »

Au Zoute, toujours aussi chic mais malheureusement devenu très toc, on est particulièrement friand de ce genre de choses, se mélangeant habilement avec des sculptures d'animaux revêtues de couleurs criardes. Disneyland remix mode tag occupe une part importante des galeries, sans doute par mimétisme avec le non-goût de Bahreïn. La place est mure pour y laisser pénétrer l'art réalisé par IA générative. 



Splash art (2), deux portraits créés par NightCafé sur
un de mes prompts


Bien sûr, ma liste de traces d'IA générative n'est pas exhaustive.

 

5. Après la sidération, le déni.

Les réactions de mes semblables ont toujours été une source infinie d’étonnement pour moi. Des artistes se réveillent mais trop tard, on a été mis devant le fait accompli, c'est bien noté. Tout est dans la boîte (noire) de l'IA générative et n’en ressortira plus jamais car il est impossible d’effacer ce qui y est entré. C'est noté aussi. Certains artistes courageux, n'acceptant pas le fait accompli, vont intenter un procès pour plagiat. 

Mais déjà le scandale de Clearview IA chasse les scandales répétitifs précédents. Parmi eux l'utilisation du logiciel espion Pegasusciblant n'importe quel civil et parmi eux des journalistes. Le viol de nos vies privées par les états et des riches puissants est devenu systématique (3). Alors le vol du travail d'artistes, qui va s'en préoccuper?

D’autres artistes ne veulent absolument rien avoir avec l’IA, ce que je comprends parfaitement, et ils pourraient bien avoir raison. C'est une question d'éthique, j'en reparlerai ultérieurement, il y a de quoi réfléchir. Parmi ces derniers artistes il y a le tout grand Hayao Miyasaki.

Mais devant ces réactions compréhensibles, il y en a d’autres qui sont complètement irrationnelles. Un soir la chaine de télévision Arte, dans son émission 28’, publie une séquence ludique sur les IA.  Ils sont assaillis de commentaires furieux genre « comment osez-vous », « pour une chaîne culturelle c’est inadmissible », etc… etc…

En quoi diable un bon artiste d’œuvres physiques pourrait-il être concurrencé par un fabricant d’ersatz numériques ?

Parce-que je veux simplement comprendre comment fonctionne une IA générative, pour ne pas mourir idiot, je suis considéré par certains comme un « collabo » ou pire, comme un suppôt de Satan. De quoi peut-on avoir peur, puisqu’on est bien d’accord que l’IA générative ne crée pas d’art ? Cela pourrait tout simplement être un outil, comme Lightroom ou Photoshop? Mais cet outil risque peut-être d'être bien plus coûteux pour la planète que Lightroom ou Photoshop? Serais-je tellement naïf ? Et en quoi diable un bon artiste d’œuvres physiques pourrait-il être concurrencé par un fabricant d’ersatz numériques ?

Lorsque j’ai posé mes questions aux artistes ayant manifestement utilisé l’IA générative pour leurs œuvres, je me suis heurté à un mur. C’était comme si je parlais d’une maladie honteuse qu’ils auraient contractée. Aucun n’a accepté que je publie une de ses œuvres, ou même que je cite son nom. Ils étaient tous effrayés comme des lapins devant un renard. Cela allait de la dénégation absolue à voix basse saccadée, accompagnée de grosses gouttes de sueur, de pâleur mortelle ou de couleur cramoisie par l’émotion, jusqu’aux supplications genre « si les gens savaient cela, je perdrais toute crédibilité et ma carrière d’artiste serait finie. Jurez-moi que vous ne parlerez pas de moi sur votre blog ? » Je leur ai promis de me taire, je ne veux nuire à personne. À quoi donc tiendrait leur carrière ? Serait elle si fragile ? Pour ceux qui connaissent, c'est comme si soudain je parlais de Voldemort (oups, froid glacial).

Et qu’ai-je fait, ayant goûté au fruit défendu ?

Le résultat est que j’ai dû créer moi-même toutes les images pour illustrer mon propos, j’étais pressé et je ne voulais pas y consacrer trop de temps. Et qu’ai-je fait, ayant goûté au fruit défendu ? J’ai créé vite fait bien fait des images par DALL-E2, j’avais encore quelques doublezons en réserve… (4)


(1) La première fois que j'ai vu ce château avec la tour-chandelle reliée par un minuscule pont au reste de la bâtisse, c'était sur des images de paysages fantastiques réalisées par l'IA générative Midjourney. Quel n'a pas été ensuite ma  stupeur en découvrant la couverture d'un livre dans une librairie, qui reprenait exactement la même silhouette de château! L'illustration était de facture classique, telle qu'on en voyait avant l'arrivée du numérique… 

(2) Le concept du « splash art » existe depuis les années 1940, grâce à des artistes célèbres de l’époque, citons parmi eux le peintre Jackson Pollock. Ce concept nous vient des États-Unis, et est donc né dans le milieu des arts plastiques. « Splash » est un terme anglais pour dire « éclaboussement », « éclaboussure », « giclement ». Le splash art a gagné en visibilité au cours des dernières années grâce à ses couleurs vives et son approche particulière de sujets traditionnels qui le rendent de plus en plus populaire auprès de la nouvelle génération d'amateurs d'art. 

Le terme splash art est aussi parfois confondu avec le terme "splash screen" : c’est alors une image utilisée comme présentation d'un logiciel, lors de son chargement. Une image de marque si on veut. Par extension, ce terme s'est étendu à toute image utilisée lors d'un chargement, par exemple lors du chargement d'un niveau dans un jeu vidéo. Le "splash screen" est la première chose que l'on voit lorsque l'on démarre le logiciel. Sur le web on parle aussi de "splash page" pour la première page d'un site. En français, ce terme pourrait être le mieux traduit par "page de garde". L’origine de cette deuxième signification vient de l’expression « To splash a piece of news », faire la une des journaux, faire la première page.

(3) Ce qui prouve qu'on ne vit pas dans une vraie démocratie, mais seulement dans un simulacre, un faux, un décor de théâtre, une illusion. Car ce n'est pas à l'état de tout savoir sur ses citoyens, mais aux citoyens de tout savoir sur l'état.

(4) Sauf trois images provenant d'exercices avec NightCafé.

 

(À suivre…) 

 


Commentaires

Articles les plus consultés